C’est le buzz politique du moment.
Tout le monde ne parle que de ça.
Mais personne n’a encore réellement compris ce qui s’est passé.
Pourquoi un tel succès pour la page Facebook « Soutien au bijoutier de Nice » ?
Et surtout en si peu de temps.
Je ne me lancerai pas ici dans une analyse en profondeur de la question. Je déplore simplement que, dans cette affaire, les vieux réflexes idéologiques aient une nouvelle fois remplacé la réflexion. Heureusement, maintenant que l’émotion commence à retomber, nous devrions voir apparaître quelques analyses intéressantes.
Le site Slate.fr a ainsi consacré un billet plutôt pertinent à l’affaire et à un « internet social de masse » qui se conclut en ces termes, fort justes :
Face à cet Internet qu’on n’a pas vu venir et qu’on ne veut pas voir, le premier réflexe a été d’y voir un fake. Sur le web, quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, on le traite de troll. Et quand on n’est vraiment pas d’accord avec lui, on le traite de fake.
Ceci étant précisé et puisque l’objet du site que vous êtes en train de lire est avant tout le marketing sur internet, je vous propose de jeter un oeil non pas à une liste exhaustive mais aux éléments majeurs qui ont assuré le succès de la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice.
L’importance du contexte : une « France d’en-bas » qui se sent abandonnée par l’Etat. Voire trahie.
En communication, une des règles d’or est que les faits ont peu d’importance : la perception prime (cf la problématique de la qualité intrinsèque d’un produit).
En réalité, c’est une règle qui s’applique dans tous les domaines. Un exemple bien connu : le sentiment d’insécurité n’est pas forcément corrélé avec l’insécurité réelle.
Certains objecteront que c’est peut-être tout simplement dû aux méthodes de mesure des chiffres liés à l’insécurité, et ils n’auront pas forcément tort. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un journaliste comme Eric Zemmour refuse d’entrer dans ces discussions qu’il nomme « bataille de chiffres ». Mais c’est précisément le point qui importe : s’échiner à modifier les méthodes de calcul est une chimère.
Le sentiment d’insécurité est une réalité en lui-même. Tout comme le fait que les clients Apple sont en général plus satisfaits que des clients d’autres marques ne veut pas dire que les produits Apple sont supérieurs.
Et justement : comme le fait remarquer Slate, si l’on veut trouver l’opinion du peuple, quoi de mieux que l’ « internet social de masse » ? Et qui mieux que Facebook l’incarne à l’heure actuelle ?
Ce qu’on constate est assez clair. J’ai choisi un exemple parmi tant d’autres, qui reprennent la même idée :
Autrement dit, ce n’est pas tant le sentiment d’insécurité qui est central, mais cette impression – justifiée ou non, c’est un autre débat – d’être abandonné par un Etat qui n’assurerait plus ses fonctions régaliennes. Acommencer par ce qui relève de la sécurité intérieure (police et justice).
Pire, d’un Etat qui serait du côté des voyous. D’un Etat qui serait donc devenu un ennemi.
Là encore, ceux qui font remarquer que ce sentiment existant déjà trente ans plus tôt ont peut-être raison, mais ils sont hors-sujet.
Qui n’a pas compris cela ne peut pas prétendre apporter un éclairage pertinent sur cette affaire du bijoutier de Nice.
Ce qui signifie qu’il est tout à la fois naïf et stupide de prétendre qu’il s’agit là d’une « France FN » qui hurlerait sa « haine en réseau », selon l’expression en Une de Libération hier.
Une France déconnectée. Mais pas celle que l’on croit.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le premier réflexe d’un grand nombre a été de crier au complot, pardon, au « fake ». Les likes auraient ainsi été massivement achetés à l’étranger et, soyons sérieux, personne n’allait se laisser abuser.
Et surtout pas les « professionnels du secteur » !
Or, pour avoir longtemps travaillé au sein de grandes agences de communication parisiennes, je suis bien placé pour savoir que le plus gros danger qui guette en permanence les professionnels du secteur est de se déconnecter du réel. C’est-à-dire de la vie quotidienne des Français.
Il n’est donc aucunement surprenant que certains n’aient pas compris ce qui se passaient – et aient donc choisi de se réfugier, du moins dans un premier temps, dans le mol oreiller du doute. Pas nécessairement une conviction de type « théorie du complot », mais la petite mélodie du « on me la fait pas » qui continue de jouer en fond sonore.
Plus que la raison, l’incompréhension pousse naturellement au doute.
Notons en outre que ce professionnel a compris que la théorie des faux likes avait fait pschitt. Ce qui était évident pour quiconque sait un minimum comment cela fonctionne, comme très bien expliqué dans ce commentaire :
A lire, pour aller plus loin : La réalité sur les likes de la Page “Soutien au bijoutier de Nice”.
Il est donc passé à l’étape suivante puisqu’il évoque alors « surtout l’aspect naturel de la viralisation« .
Ce point est particulièrement savoureux.
C’est un peu comme si vous vous interrogez sur le succès soudain d’un site web, que vous interrogez un professionnel du référencement (« naturel », bien entendu), et que celui-ci vous répond que c’est tout simplement parce que le site en question ne respecte pas 100% des consignes Google.
Traduction pour les néophytes : un site qui se soucie un tant soit peu de son référencement et qui respecte la totalité de ces règles, ça n’existe tout simplement pas 🙂
En réalité, cette personne veut simplement dire que s’il s’avérait que le message s’était propagé de lui-même, l’ampleur serait encore plus remarquable. Allusion aux « votes truqués » et autres résultats de sondages en ligne qui basculent en un instant sous l’effet du lobbying de tel ou tel site.
En réalité, peu importe.
Ce qui compte, c’est que la mayonnaise virale a pris.
Ce qui ne nous dit toujours pas pourquoi.
Le choix du mot « soutien » dans le titre de la page Facebook est crucial
Au milieu de toutes ces discussions, un point n’a, me semble-t-il jamais été évoqué. Il s’agit du titre de la page Facebook.
Rappelons-le pour commencer :
Soutien au bijoutier de Nice
C’est court, c’est net, c’est précis.
Justement non : ce n’est pas précis.
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles certains n’ont pas liké cette page Facebook.
Mais on est en droit de penser que, pour un bien plus grand nombre, le « soutien » permet de ratisser large. Pour ma part, j’ai précisément « liké » la page de soutien afin de soutenir la victime, selon la définition du mot « soutien » que l’on peut trouver ici :
Action de maintenir quelque chose ou quelqu’un en place ou debout en l’empêchant de tomber.
Une pétition ? Quelle pétition ?
Certains parlent d’ailleurs à tort de « pétition », voire de « pétition de soutien au bijoutier de Nice« . Il y a là une incompréhension fondamentale.
Liker une page Facebook représente une implication beaucoup moins forte que la signature d’une pétition. En outre, toute pétition est censée exprimer des revendications claires. Ici, rien de cela.
Là encore, il faut comprendre ce point si l’on souhaite analyser l’ampleur de cette affaire du bijoutier de Nice.
C’est également plus que souhaitable si l’on s’intéresse à la notion de « militantisme du clic ».
L’intitulé de la page, ou le « poids des mots »
Comme je le faisais remarquer à l’un de mes contacts Facebook, si l’intitulé de la page avait été « impunité pour le bijoutier de Nice », il y a fort à parier que le nombre de likes aurait été très inférieur.
La page de soutien au bijoutier se serait probablement trouvé noyée au milieu de toutes celles qui parviennent à rassembler quelques dizaines de milliers de likes.
La mayonnaise virale dont je parlais, plus ou moins naturelle, n’aurait jamais pris.
Je n’aurais jamais cliqué dessus.
Et je n’y aurais pas consacré un article sur ce blog.
Pour ceux qui veulent poursuivre la réflexion en approfondissant l’aspect « politique » de l’affaire, je vous invite à consulter l’analyse de Philippe Labro.