Il est incontestable que la marque à la pomme occupe un statut un part dans le monde du high-tech. Pourquoi choisir Apple lorsqu’on achète un ordinateur, une tablette ou un baladeur mp3 ? La question peut se poser tant il est clair que la marque n’écrase pas la concurrence d’un point de vue innovation technologique ou qualité du produit fini. Il convient donc de chercher ailleurs.
Pourquoi choisir Apple aujourd’hui encore ?
J’entends déjà les Macfags hurler leur colère donc autant le dire tout de suite : leurs produits adorés sont très bons. Ils sont notamment très bien finis et leur écran est toujours d’une excellente qualité.
Je ne vais pas m’étendre non plus sur les origines du constructeur : il est incontestable que Steve Wozniak, le « vrai » génie technologique de la pomme, a marqué l’histoire de la micro-informatique comme bien peu l’ont fait.
Mon propos n’est pas de dénigrer mais bien de comprendre pourquoi, alors que certains produits de leurs concurrents sont à un même niveau de qualité – et parfois un peu plus -, ceux qui arborent une pomme suscitent un engouement quasi-systématique depuis plusieurs années. Et un attachement qui confine parfois à l’hystérie.
Croque la Pomme, Adam, Adam…
De fait, la firme de Cupertino plaît autant aux consommateurs qu’aux investisseurs. L’action de la marque a atteint son plus haut-niveau historique mi-septembre après la mise sur le marché de l’iPhone 5 (mais a depuis baissé de 13%, un premier signe selon certains d’un inévitable réveil suite au décès du gourou Steve Jobs). Tout simplement parce qu’aucune marque ne peut se targuer de rencontrer un succès toujours croissant à chaque sortie de produit et ce quelque soit le prix d’introduction.
D’aucun répondront qu’elle est la marque la plus innovante au Monde et que c’est à ce temps d’avance qu’elle a su conserver qu’elle doit de vendre chaque nouveau produit comme des petits pains.
A mon humble avis, ils ont tort.
Ou alors il convient de redéfinir le terme « innovation ».
Pourquoi choisir Apple : innovation ou invention ?
Comme le résume fort justement le site Mygrall dans son billet intitulé « innovation ou invention ? », selon un type qui savait franchement de quoi il parlait, Joseph Schumpeter :
- L’inventeur est un génie, un personne surdouée.
- Alors que l’innovateur est celui qui réussit à trouver un marché pour une invention.
Apple appartient clairement à la deuxième catégorie. C’est une société qui n’a pas son pareil pour surveiller le marché, les usages, les tendances, les inventions et en proposer à la vente une synthèse d’une excellente qualité au bon moment (ni trop tôt, ni trop tard). C’était là d’ailleurs, avec un sens aigu du marketing et de la psychologie humaine, le véritable talent de Steve Jobs.
Si la firme a compris tout le bénéfice qu’elle peut retirer à déposer le maximum de brevets et s’inscrit ainsi dans une tendance structurelle de forte inflation en la matière, c’est d’ailleurs tout comme ses concurrents bien moins pour défendre une innovation que pour avoir eux-mêmes une arme à utiliser en cas de poursuites. Elle reste néanmoins largement devancée par un grand nombre d’autres acteurs du monde de la haute-technologie.
Cette différence entre innovation et invention est-elle claire dans l’esprit du consommateur ? Je me permets d’en douter plusieurs fois par semaine.
Un récent billet sur BeGeek consacré au nouvel iMac est très clair :
Une autre belle innovation de la part d’Apple, c’est le Fusion Drive. Il s’agit en fait de combiner un disque SSD de 128 Go et une partie mécanique classique qui variera entre 1 et 3 To, le tout dans un boitier identique. Alors bien que cela ne soit pas nouveau, Apple comme à chaque fois sublime le produit et en fait la fonctionnalité indispensable.
Autrement dit : d’autres constructeurs l’ont fait avant, mais ils le feraient mieux.
Ce qui ne repose, dans l’exemple cité ici, sur rien de concret. Combien de temps le charme que Steve Jobs savait si bien opérer va-t-il encore perdurer ? Pour certains, il ne resterait plus beaucoup de temps avant qu’Apple ne devienne une marque comme une autre. Je pense pour ma part qu’ils disposent de quelques années devant eux, notamment en raison d’une des clés de l’attachement farouche voire vindicatif de certains à la marque, le phénomène de post-rationalisation , d’autant plus marqué que les produits en question sont chers – je développe ce point dans mon cours sur le marketing relationnel pour le compte de l’EMWeb.
Mais ledit phénomène n’intervient que postérieurement à l’achat.
Comment expliquer que des consommateurs viennent chaque jour un peu plus grossir le portefeuille clients du groupe ?
Pourquoi choisir Apple ? Engagez-vous, qu’ils disaient !
A mon humble avis, le groupe doit son succès à deux éléments centraux :
-
Curation et temps long
Dans un Monde où chaque jour amène son lot de nouveautés, notamment dans le secteur de la technologie, il est à peu près impossible de se tenir au courant. Et qui le voudrait réellement ? Sauf à y passer ses journées et à briguer un titre de MasterGeek… Et encore ! Face à la profusion de produits sans cesse renouvelés, une nouvelle star chassant l’autre, il n’est pas rare de voir un geek prendre beaucoup de plaisir une fois rentré chez lui le soir à allumer son MacBook ou son iPad, peut-être un peu dépassés quelques mois après leur sortie mais toujours fidèles au poste.
La Pomme ralentit le temps et, ce faisant, réintroduit un peu de sérénité chez le consommateur. Le temps de vivre qu’a tenté de s’approprier Philips.
Un peu comme investir dans la pierre. Une valeur refuge en quelque sorte. Un enfant de la crise ?
-
Communauté et besoin d’appartenance
Le deuxième point ne doit en aucun cas être sous-estimé. Il part d’un constat simple :
- Il n’y a pas de communauté Windows – l’aventure Xbox et plus récemment Windows Phone a à ce titre fait beaucoup de bien au bébé de Bill Gates.
- Il y a une communauté Linux, ou plutôt des communautés Linux : une par distribution, même en réalité plusieurs par distribution.
- Dans les années 90, il y avait une communauté Amiga, Atari, BeOS, … Elles ont pratiquement disparu.
- La communauté Mac, quant à elle, a fait corps. Les journalistes, les créatifs en agence de pub, les producteurs, tous utilisent des Mac. A l’école, on leur parle Mac. Au travail, leurs aînés leur parlent Mac. Horizon indépassable et fin de l’Histoire.
Et si quelques critiques se font jour parfois, notamment face à la politique façon Cupertino, chacun a tôt fait de se dire que quitter Mac est simplement inenvisageable !
Tous se revendiquent différents. Tous ensemble. Dans ces conditions, est-il si étonnant de constater que dans ces milieux les votes sont très homogènes ?
Une impeccable reproduction des élites professionnelles, en somme.
Pourquoi choisir Apple ? Parce qu’on s’y sent bien, pardi !
Soyons brefs :
La Pomme doit en effet son succès à la différence. Mais pas celle de son utilisateur lambda : celle qu’elle présente par rapport aux autres acteurs du marché.
Elle est la marque qui a su enfermer ses clients dans un vase clos. Un vase tapissé de velours.
Elle contrôle tout. Pour le bien de chacun.
Pour leur confort, plutôt.
Car la liberté, le choix, la décision, c’est bien mais c’est fatiguant.
Pourquoi aller s’embêter avec des marques qui proposent des gammes allant du pire au meilleur alors qu’il suffit d’attendre sagement que le meilleur curateur du marché fasse le travail ?
Pourquoi choisir Apple ? Parce que c’est les charentaises et le gros cigare dans son canapé en cuir.
Le confort en pantoufles.
Tout sauf une marque rock’n roll.
Loin de moi l’idée de leur jeter la pierre. Bien au contraire : ses concurrents seraient bien inspirés… de s’en inspirer. Microsoft semble l’avoir d’ailleurs compris. Au risque de déplaire à certains.
Cette démarche sera-t-elle couronnée de succès ? Ceci est une autre histoire.
Crédit photo Pourquoi choisir Apple ? : Gennaro Viscinao